среда, 29 июля 2015 г.

Françoise Compoint: Vladimir Bonaparte Poutine: vers un modèle républicain authentique?






Alors donc que le mainstream médiatique occidental se permet les analogies historiques les plus détestables pour qualifier Poutine, Yanick Jaffré, agrégé de philosophie, auteur d’un ouvrage édifiant intitulé «Vladimir Bonaparte Poutine: essai sur la naissance des républiques», décortique la personnalité du Président russe à travers les réformes cruciales réalisées par celui-ci depuis le début de son premier mandat et qui ont fait que la Russie, tout en étant un pays européen par excellence, se trouve néanmoins en rupture idéologique avec l’Occident.

Le westphalisme de la diplomatie russe est en parfaite opposition avec le mirage des droits de l’homme dans les pays de l’UE. D’une manière analogue, le souverainisme autoritaire mais rigoureusement légaliste du nouveau système républicain russe est opposable à la paralysie des dirigeants européens biberonnés, notamment depuis la réintégration de la France à l’OTAN, aux directives étasuniennes.

De passage à Moscou, M. Jaffré est intervenu sur nos ondes en livrant une analyse étayée de la politique russe actuelle dans sa confrontation à ce que l’ancien ambassadeur américain en Irak, M. Christopher Hill, a lui-même qualifié de «nouvel ordre mondial» … en ayant au passage reproché à la Russie de l’avoir perturbé.

Je publie ci-dessous quelques extraits représentatifs de l’entretien.

La Voix de la Russie. «Dans la présentation de votre livre, vous constatez que «Poutine fût l’accoucheur d’un ordre républicain né dans les convulsions», évoquant ainsi la douleur de l’accouchement. Comment est-ce que vous pourriez qualifier cet ordre républicain, est-ce qu’il correspond forcément à la définition du républicanisme tel qu’il se construit en occident? Et quel est le lien entre cet ordre républicain et ce que vous appelez le «westphalisme» de la politique poutinienne?

Yannick Jaffré. Pour répondre à votre première question, il s’agit bien d’un ordre républicain mais authentique, c'est-à-dire un ordre républicain «d’appellation d’origine contrôlée», si je puis dire, c'est-à-dire renvoyant au principe antique. Or, l’observation de toutes les républiques, et même de toutes les démocraties antiques, fait voir qu’elles ont été fondées ou refondées par un homme fort, par une figure d’autorité. La république, c’est d’abord l’autorité des lois, ou disait Poutine «la dictature de la loi». Cette expression, comme tout le reste, a été fort mal comprise et interprétée à l’Ouest, mais elle signifiait dans le contexte du début des années 2000 que désormais il fallait imposer l’ordre légal par tous les moyens, un ordre légal qui a été largement bafoué par les sujets de la Fédération. Je consacre un chapitre à ce désordre administratif qui est fort proche de celui qui est à l’œuvre au cours du Directoire. Et puis il fallait rétablir l’ordre républicain contre un certain nombre de pratiques mafieuses ainsi que contre la constitution d’oligarchies. Car la république telle que on peut la comprendre à travers l’histoire antique, et même à travers certains aspects de l’histoire moderne, notamment à travers la personnalité de Bonaparte, c’est précisément le prima de l’Etat contre les grands intérêts privés. Et c’est dans ce sens qu’il me semble que Poutine est le fondateur d’un ordre républicain, d’une démocratie plébiscitaire ou semi-plébiscitaire. Je pense qu’il faut être prudent avec ce terme parce qu’au fond, il y a quand même d’autres candidats aux élections, il y a un parlement pluriel, donc il ne s’agit pas de plébiscite napoléonien.

Pour répondre à votre seconde question, je crois que la politique intérieure de Poutine rejoignant le principe de la «République de bronze» comme disait Malraux saluant le retour de Charles de Gaule en 1958 (retour qui d’ailleurs avait été combattu à l’époque par les mêmes qui poussent des cris d’orfraie devant la politique de Poutine, à 60 ans de distance) est nécessairement nationale. Car, en effet, on a tendance à l’Ouest à confondre la République avec une démocratie libérale dont les frontières sont mal définies.

LVdlR. Un peu anarchique en fait.

Yannick Jaffré. Oui, une sorte de «démocratie sans peuple», l’expression n’est pas de moi.

LVdlR. Sans préférence nationale aussi.

Yannick Jaffré. Sans préférence nationale, l’Europe étant le vecteur de cette notion de cosmopolitisme dans un seul pays ou dans plusieurs pays. Donc, le pont entre la politique intérieur et la politique étrangère, je crois que c’est le prima de la nation et de l’Etat. Et c’est dans ce sens que Poutine me parait défendre une politique étrangère rationnelle, fondée sur la souveraineté nationale, l’intégrité territoriale et le droit des Etats. Alors bien sûr, il a tout de même affaire au cours des choses, et on peut défendre l’intégrité des frontières mais les frontières sont également tracées par les guerres. Et c’est très exactement le problème qui se pose aujourd’hui en Ukraine. Poutine répugne à transgresser la frontière ukrainienne comme l’y poussent les euratlantistes et le gouvernement de Kiev. Mais aura-t-il le choix de l’éviter? Jusqu’à quand? Cela reste encore à déterminer. Il me semble que l’unité de la politique intérieure et étrangère de Poutine réside dans le prima de la Nation et de l’Etat, prima que nous avons perdu de vue grâce à nos élites française. Tout mon travail est un «cri de désespoir», si je puis dire … bien qu’il soit fort joyeux par certains autres aspects au spectacle de l’état de nos élites. Comme dit Diogène avec sa lanterne «je cherche un homme en plein jour» et malheureusement j’en ai trouvé qu’en Russie.

LVdlR. Pourquoi est-ce que selon vous le retour, historiquement logique, de la Crimée dans le giron russe a suscité un tel remue-ménage en Occident et une telle hystérie dans les médias? Est-ce que c’est simplement parce que l’OTAN a perdu une zone confortable qui lui donnait accès aux mers chaudes ou y-a-t-il une autre raison qui nous échappe?

Yannick Jaffré. Je pense qu’en Crimée, comme en Ukraine orientale, ce qui se joue, c’est un conflit mondial d’application locale. Entre l’Euratlantisme, puisque malheureusement les élites françaises et généralement européennes suivent les Etats-Unis avec un certain nombre d’autres pays, je pense au Japon qui a fait des remarques tout à fait nettes sur la situation ukrainienne, et la Russie. Je crois que cette hystérie provient de cette ligne de front qui passe désormais en Ukraine. Mais plus généralement autour de la Russie, entre le nouvel ordre mondial défini par George Bush père puis prolongé par son fils, et encore par Obama, bien qu’il se tourne davantage vers l’Asie. Néanmoins, il y a tout de même une certaine inertie dans cette politique, cette dernière s’étant heurtée à ce que j’appellerais le camp des nouveaux non-alignés dont la Russie prend la tête, parce qu’il me semble que la Chine est pour sa part d’avantage campée sur son mode de production, sur sa puissance matérielle, tandis que la Russie a le «logiciel», à la fois historique, géopolitique, diplomatique et stratégique pour s’opposer diplomatiquement aux Etats-Unis. Cela, de façon souvent efficace comme nous l’a vu dans l’affaire syrienne. Quant à la Crimée, ça posait un problème par rapport à la thèse de Poutine «westphalien», c'est-à-dire défendant la souveraineté et l’intégrité territoriale des Etats. Ce problème fut vite résolu par le fait que la Crimée a été cédée en 1954 dans des conditions extrêmement obscures et que le rattachement à la Russie à donné lieu à un plébiscite. Poutine a ici retourné à l’envoyeur occidental le principe de l’autodétermination des peuples forgé par Wilson contre celui de la souveraineté territoriale qu’il défend. Mais après il y a une forme de pragmatisme nécessaire qui intervient. En l’occurrence, en Crimée, il n’allait pas brandir un principe d’intégrité territoriale en plus assez précaire dans ce cas-là parce que la Crimée n’a jamais appartenu durablement à l’Ukraine. Or, ce principe avait été précisément brandi aux Kosovo contre l’intégrité territoriale de la Serbie. Un grand problème est en train de se poser pour l’Ukraine de l’Est et c’est pour cela qu’à mon avis Poutine temporise en ne faisant pas rentrer les troupes russes en Ukraine orientale et dans le Donbass. C’est ici à mon avis qu’il faut suivre la situation, il y aura des limites. Si le gouvernement de Kiev appuyé par les euratlantistes devait faire de l’Ukraine de l’Est une sorte de grande Palestine… qu’est-ce qu’ils vont faire après s’ils l’emportent militairement?

On voit très bien d’ailleurs le projet mondialiste qui prétend être mû par un bien absolu. La réalité des droits de l’homme qui renvoie à une sorte de modèle médiévo-futuriste superposant la notion de croisade à celle de l’humanitaire contemporain abrite en réalité bien des souffrances, bien des violences, bien des exactions, de la Lybie à la Syrie en passant par l’Ukraine.

LVdlR. Les droits de l’homme ne sont rien d’autre qu’un écran de fumée.

Yannick Jaffré. C’est un écran de fumée. Et c’est surtout la justification idéale ou idéologique d’un projet globale extrêmement violent qui fait du messianisme des droits de l’homme son instrument et qui sert en réalité les intérêts de ce qu’Hubert Védrine, dans ses beaux jours, avait appelé «l’hyperpuissante américaine». Voilà, il me semble qu’on en est là. Je vais être un peu provocateur mais on comprend les Etats-Unis. Ils veulent achever leur ennemi de la Guerre Froide, à la limite pourquoi le leur reprocher? Ils font leur travail d’Américains. En revanche, que les élites européennes, tout particulièrement françaises, se prêtent à cette politique, cela me parait aller non seulement contre les intérêts nationaux mais révéler le degré de dégradation morale, éthique et en somme quasi-constitutionnelle des élites françaises.

LVdlR. Mais justement, comment est-ce que vous expliquez ce suivisme tout à fait béat?

Yannick Jaffré. On peut y voir plusieurs causes. Je pense que l’idéologie européiste a beaucoup jouée dans cette dégradation du sens national des élites françaises. On ne peut que constater qu’on a ici de petits hommes qui au fond ne veulent pas décider pour eux-mêmes. Quand il leur reste un peu de rationalité, comme dans l’affaire des Mistrals, par exemple, on sent quand même qu’il y a une forme de raison d’Etat qui persiste contre la logique des sanctions. Il est en effet difficile de renoncer à un tel contrat. Mais on sent qu’il s’agit en fait d’une raison d’Etat passive, qu’il n’y a pas de grand projet derrière. Le projet, c’est de se fondre dans l’ensemble euratlantiste, c'est-à-dire de suivre des décisions qui sont prises ailleurs que chez soi».

Источник: http://fr.sputniknews.com/french.ruvr.ru/radio_broadcast/217362642/275593245/?slide-2